Principe de l'auscultation par fibre optique
Les fibres optiques sont connues pour être d'excellents câbles de télécommunications. Autrement dit, lorsqu'un signal lumineux est émis à une de leurs extrémités, il se propage très vite sur de longues distances, sans pratiquement aucune perte.

Tout signal lumineux qui passe au travers d'une fibre interagit nécessairement avec les éléments qui la constituent. Ces interactions se traduisent par de faibles réflexions successives de la lumière, vraiment très faibles mais néanmoins mesurables.
Ces réflexions sont, pour simplifier, proportionnelles à une fonction de la température de la fibre et de sa variation de longueur dans l'axe de la fibre, là où se produisent les interactions. Ainsi, il suffit de déterminer – et cela se fait au moyen d’appareils dits « interrogateurs opto-électroniques » – les caractéristiques du signal émis et des signaux successivement réfléchis pour transformer la fibre en une succession de thermomètres et d’extensomètres longitudinaux répartis, capables de mesurer en continu la température et l’allongement/le rétrécissement de la fibre tout le long de son trajet.

En effet, la zone située à proximité de l’extrémité de la fibre où a été disposé l’émetteur renvoie le premier écho reçu, puis celui émis juste après, etc. jusqu’à l'écho émis par l’autre extrémité de la fibre.
En pratique, avec les meilleurs interrogateurs opto-électroniques industriels disponibles aujourd'hui sur le marché, on arrive à des précisions de 0,1°C tous les mètres et toutes les 10 minutes, et de 2×10-6 tous les mètres et toutes les 10 minutes, c’est-à-dire de 2 µm en sur 1 m dans le sens de la longueur de la fibre (dans la limite de déformations supérieures à 10-2, qui rompent les fibres), toutes les 10 minutes. En couplant ces mesures avec des acquisitions haute-fréquence, on peut transformer la fibre en capteur acoustique.
Les fibres de ces « systèmes d'auscultation par fibre optique » peuvent être enterrées dans des ouvrages ou collées à leur surface. Elles peuvent donc servir par exemple à mesurer la température, la déformation et le bruit acoustique ou sismique présent sur a priori tout type d'ouvrage (digues, barrages, tunnels, ponts, routes, pipelines, pylônes haute tension, bâtiments etc.).
Ce type de capteur réparti présente l'avantage d'être pratiquement totalement insensible au bruit électromagnétique et aux radiations. Il est de plus stable dans le temps – puisqu’on dispose désormais des fibres installées il y a plus de 50 ans. Enfin, il est compétitif économiquement à partir du moment où la zone à ausculter a une taille de l'ordre de quelques kilomètres (étant donné que les coûts des fibres adaptées à ces applications sont en général de l'ordre de quelques euros à quelques dizaines d'euro le mètre, tandis que les instrumentations coûtent de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d'euros et que l'exploitation est très simple, donc bon marché).
Intérêt de l'auscultation par fibre optique
Si les dispositifs de surveillance traditionnels (inspections visuelles, piézomètres, etc.) suffisent le plus souvent à prévenir les risques, il peut arriver que ce ne soit pas le cas.
Par exemple, le barrage de Teton aux États Unis, de 93 m de hauteur, a rompu le 5 juin 1976 par suite de phénomènes d'érosion interne, et seulement 3 h 1/2 se sont écoulées entre l'apparition du premier conduit visible depuis l'extérieur, et la rupture de l'ouvrage sur toute sa hauteur. L'opérateur chargé de la surveillance n'a pas détecté l'apparition du conduit avec suffisamment d'avance pour que l'ouvrage puisse être mis en sécurité.
En pareil cas, un système d'auscultation donnant accès à un échantillonnage spatial et temporel plus élevé (de l'ordre, respectivement, du mètre et de l'heure) aurait été le bienvenu.
Il se trouve que la température et la déformation sont connues depuis longtemps pour être de bons indicateurs des désordre au sein des ouvrages.

Le suivi en continu de la température au cœur de l'ouvrage, dans toutes les zones susceptibles de recouper des zones de fuite, aurait permis de détecter les premiers signes d'érosion, avant même que n'apparaisse le moindre désordre visible depuis l'extérieur.
L'auscultation par fibre optique permet justement un tel suivi, à des coûts non prohibitifs pour de longs linéaires. Pour ce faire, on enterre une fibre en pied d'ouvrage ou dans les drains installés en son sein et les anomalies thermiques enregistrées peuvent raisonnablement être considérées comme des suspicions de fuites.

Lorsque le câble à fibre optique est doté de fils électriques, il est possible de chauffer localement la fibre optique avant les mesures thermiques, simplement en injectant du courant électrique préalablement aux mesures optiques. Cela permet alors de détecter n'importe quelle fuite, y compris celles qui, par malchance, se trouvent transporter des fluides se trouvant à la même température que l'encaissant. En effet, en mesurant le refroidissement de la fibre optique juste après l'arrêt d'injection de courant, les zones de fuite apparaissent là où les refroidissements sont les plus rapides, lorsqu'ils sont drainés, justement, par les fluides transportés par les fuites.
Cette technologie peut donc être déployée juste derrière géomembrane, là où la température est uniforme. Elle permet alors de localiser immédiatement, dès leur apparition, les déchirures à l'origine des fuites mises en évidence dans les drains ‒ et, ainsi, éviter d'avoir à dépenser des sommes colossales en terme de perte d'exploitation à vidanger l'ouvrage pour faire apparaître la ou les déchirures.


Bien entendu, le même câble à fibres optiques peut être utilisé pour détecter des micro-déformations ou des bruits acoustiques précurseurs d'autres désordres (fontis, etc.).
Ces systèmes d'auscultation permettent également – et parfois surtout – de considérer autrement la maintenance préventive et la maintenance à long terme de l'ouvrage. En effet, en enregistrant en continu pendant toute sa vie tout ce qui se passe au sein de l'ouvrage, ils permettent d'identifier, lors de projets de réfection, où se situent les zones à conforter et où, au contraire, aucun désordre n'est jamais apparu et donc rien n'a besoin d'être refait (alors que, encore trop souvent, le linéaire est intégralement refait, quand bien même il reste majoritairement en bon état).

De même, les données par fibre optique peuvent guider les opérations de maintenance courante (comme l'ordre dans lequel les inspections visuelles doivent être réalisées, etc.).
Points clés des systèmes d'auscultation par fibre optique
1. Un design réfléchi, accompagné de simulations quantitatives démontrant la capacité du système à donner satisfaction en conditions réelles d'exploitation
Une fibre optique n'a pas un rayon d'action infini : au-delà d'une certaine distance, elle devient aveugle et ne permet plus la détection de l'anomalie recherchée. Installer des fibres partout ne serait pas une solution, car cela renchérirait inutilement le projet.
Il convient donc, avant toute chose, lorsqu'on s'engage dans un projet de conception, de définir précisément les objectifs quantitatifs visés.
Cette étape se fait avec le maître d'ouvrage, en discussion avec le pool de spécialistes métiers qui l'entoure (expert sûreté de l'ouvrage, géologue du site, ingénieur structure, ingénieur environnement, services juridiques – sans oublier, bien entendu, le pool auscultation, chargé d'établir la faisabilité a priori d'un système d'auscultation envisagé pour répondre aux besoins identifiés).
Il convient ensuite, en fonction de l'aléa que le dispositif d'auscultation aura à suivre (et de la valeur quantitative de l'anomalie qui devra être détectée), de garantir que le système anticipé sera effectivement capable, en conditions réelles, de détecter l'anomalie minimale ciblée.
Cette étape nécessite le plus souvent de simuler de façon réaliste l'ouvrage et de s'assurer que, lorsqu'il est confronté à l'aléa ciblé, le dispositif pressenti détecte effectivement l'anomalie ciblée.
Puis, il faut garantir la faisabilité technique du système envisagé et de déterminer ses coûts d'investissement et d'exploitation, afin de s'assurer qu'il pourra bien être financé et restera opérationnel pendant toute sa durée de vie pressentie.
Cette étape se fait le plus souvent avec les services financiers de l'exploitant, seuls à même de mettre un prix à la sûreté, en lien avec l'équipe de conception, la mieux placée pour déterminer les coûts du dispositif d'auscultation (si elle a bien été choisie et connaît parfaitement son métier).
Il convient enfin de s'assurer, lorsque le projet d'installation du nouveau système d'auscultation a vocation à se faire dans le cadre d'un chantier déjà décidé et est justifié par d'autres considérations, que l'ajout de nouvelles tâches liées à la réalisation dudit dispositif d'auscultation ne retardera en aucun cas le chantier.
Cette étape requiert le plus souvent de faire appel à des spécialistes reconnus de la mise en œuvre de la technologie, seuls à même d'anticiper les problèmes de chantier susceptibles de survenir et de mettre en place des mesures de prévention efficaces et reconnues de ces problèmes.

Une conception bien menée permet de limiter le plus souvent drastiquement à la fois les coûts d'investissement et ceux de fonctionnement.
2. Une supervision éprouvée de l'installation du système d'auscultation
L'ajout de fibres optiques à un chantier de génie civil fait le plus souvent peur, compte-tenu de l'extrême fragilité intrinsèque des fibres, et compte-tenu du fait qu'en fin de chantier, tout est enterré (de sorte que toutes les données souterraines nécessaires à l'exploitation devront avoir été recueillies avant la fin du chantier).
Des méthodes désormais éprouvées permettent de garantir que l'installation sera conforme et livrée dans les délais, même si les entreprises de travaux retenues par la commission d'appel d'offre n'ont par d'expérience en fibre optique et seront susceptibles de faire appel à des sous-traitants en fibre optique venus du secteur des télécommunications (dans lesquelles le respect d'un budget optique hyper optimisé n'est, le plus souvent, pas un soucis).
Cette étape nécessite de faire appel à des spécialistes reconnus de l'auscultation par fibre optique (qui sont aujourd'hui extrêmement peu nombreux sur la place).
3. Une réception du système d'auscultation effectuée selon les règles de l'art
Les maîtrises d'œuvre de chantier de génie civil n'ont que très rarement l'expérience des chantiers d'installation de dispositifs d'auscultation par fibre optique. Il ne leur est, dans ces conditions, pas facile de savoir comment déterminer que le chantier livré sera effectivement conforme aux spécifications.
De même, les maîtrises d'ouvrages n'ont que très rarement l'expérience des systèmes d'auscultation par fibre optique. Il n'est donc généralement pas évident pour elles non plus de mettre le doigt sur les points de vigilance à suivre lors de la réception.
Cette étape nécessite de se faire accompagner par des spécialistes reconnus de l'auscultation par fibre optique, le plus souvent l'équipe de conception, a priori la mieux placée pour identifier les points de vigilance qui devront tout particulièrement être suivis lors de la réception du chantier.
Afin de garantir que l'équipe de conception ne sera pas en situation de s'imposer au maître d'ouvrage en phase l'exploitation, il est vital que la réception s'accompagne du recueil de l'ensemble des documentations afférant au système d'auscultation, qu'il s'agisse des données de conception, des plans d'installation, des documentations en français et en anglais des instruments utilisés et des coordonnées des fournisseurs, des formats dans lesquelles sont délivrées les données, des sources des codes de mise en forme des données, sans oublier les fichiers de données de site récoltés en phase de travaux, en particulier les plans de récolement.
Cette étape doit impérativement avoir été décrite sans ambigüité et dans le détail dans le Cahier des Clauses Techniques Particulières de l'appel d'offre travaux préparé par l'équipe de conception.
4. La première année d'exploitation impérativement confiée à l'équipe de conception, pour une bonne détermination des seuils de détection appelés à être utilisés en phase d'exploitation
La réponse locale d'un site ne peut pas toujours être déterminée avec une précision suffisante en phase de conception.
Les dispositifs d'auscultation sont donc le plus souvent pourvus de systèmes d'étalonnage simulant, dans l'ouvrage lui-même, l'anomalie ciblée (via, par exemple, l'injection d'eau au sein même de l'ouvrage, pour simuler la survenue d'une fuite, dans le cas où l'ouvrage est un barrage hydraulique dans lequel on redoute la présence de fuites).
Ces dispositifs ont pour objet de déterminer la réponse du site, sans laquelle il n'est pas possible de remonter, une fois les paramètres du modèle de l'ouvrage correctement calés, à la quantification du signal précurseur de désordre choisi.
Cette étape ne peut, en pratique, se faire que par l'équipe de conception.
5. Une stratégie d'exploitation robuste, garantissant que l'infrastructure restera protégée des malveillances et sera effectivement surveillée en période de crise
Un système d'auscultation par fibre optique nécessite peu de ressources humaines en phase d'exploitation.
Il convient cependant de garder à l'esprit que, en période de crise, les équipes de surveillance sont généralement submergées par des urgences (comme, par exemple, réaliser des reportings réguliers aux autorités, porter secours à usagers de l'ouvrage, etc.).
C'est évidemment dans ces moments particuliers que les pirates sortent le plus souvent du bois, dans l'espoir de parvenir à faire monter au maximum le prix de leurs enchères pour ne pas mettre à exécution leurs menaces...
C'est enfin dans ces moments là que l'ouvrage est le plus sollicité et qu'il est le plus important de bien analyser ses données d'auscultation, qui révèlent le comportement de l'ouvrage en situation extrême et donc son niveau effectif de sûreté.
L'organisation de la surveillance mise en place doit veiller à ce que non seulement le système soit exploité par du personnel compétent et son accès soit en permanence sécurisé, mais aussi qu'il fasse l'objet d'une surveillance garantie et si possible renforcée en période de crise.
6. Un maintien en conditions opérationnelles et une maintenance dans la durée de la base de données du site
Quoique particulièrement fiable, l'auscultation par fibre optique nécessite un entretien régulier, ne serait-ce que pour rapatrier les données complémentaires du dispositif d'auscultation (requises le plus souvent pour les analyses de données), maintenir les instrumentations en fonctionnement et garantir la bonne intégration et la sauvegarde continue dans la base de données du site des dernières données acquises.
Cette étape est déterminante pour le retour sur investissement à long terme du système d'auscultation. Elle implique que le maître d'ouvrage maintienne ses budgets de fonctionnement dans la durée.